Je reproduis ici l’intervention de Brahim ZEDDOUR, descendant de Kacem ZEDDOUR.
Un Juste de la guerre de libération algérienne :
le sens d’un destin
Par Brahim Zeddour
Le cargo en direction de Marseille peut enfin partir, après des heures d’attente au port d’Alger, où il règne un calme inhabituel, qui contraste avec l’effervescence de la ville. Nous sommes le 4 juin 1958, Charles De Gaulle y est attendu après son investiture du 1er juin. C’est ce jour que le commissaire Charles Ceccaldi-Raynaud, déguisé en facteur et grâce à l’aide du syndicat des postiers, choisit de fuir les mesures de répression du colonel Godard, le redoutable chef de toutes les forces de police et de sécurité de l’Algérie. L’ordre est donné à tous les responsables militaires et de police d’enfermer le commissaire Ceccaldi dans le camp d’internement tristement célèbre « Alger Sahel », d’où on a peu de chance de revenir. On ne badine pas avec les tortionnaires et la seule voie reste la fuite, fuir pour sauver sa vie et son honneur. Nul n’est à l’abri dans cette sale guerre et n’importe qui peut voir sa vie basculer dans l’horreur.
En jetant un dernier regard sur la ville au fur et à mesure que le bateau s’en éloigne, Charles Ceccaldi-Raynaud revoit le film des évènements de ces quatre ans de guerre. Seuls les temps de révolution voient se mêler et se confondre la liberté et la vérité. Tel est le don de l’Algérie combattante à l’esprit de Ceccaldi-Raynaud. Telle est la lumière directrice qui a éclairé son parcours de commissaire de police exemplaire, solidement formé aux sources du droit et militant socialiste sincère. Son crédo a été de combattre le courant qui prolonge le drame colonial. En contemplant de loin la Casbah d’Alger cernée jusqu’à l’étouffement par les constructions européennes, on ne peut manquer d’évoquer le texte de Guy de Maupassant, dans « Alger à vol d’oiseau » publié en 1881 : « (…) Or, nous sommes restés des conquérants brutaux, maladroits, infatués de nos idées toutes faites. Nos mœurs imposées, nos maisons parisiennes, nos usages choquent sur ce sol comme des fautes grossières d’art, de sagesse et de compréhension. Tout ce que nous faisons semble un contresens, un défi à ce pays, non pas tant à ses habitants premiers qu’à la terre elle-même. »
Cinquante sept ans plus tard, Charles Ceccaldi-Raynaud nous livre son expérience dans un récit mémoriel au titre hautement évocateur « La guerre perdue d’Algérie » publié aux éditions Alfabarre. Des chefs-d’œuvre ont été écrits par de grands esprits qui se passionnés pour l’Algérie tels le Comte Henry de Castries, Isabelle Eberhardt, Etienne Dinet, Frantz Fanon, Germaine Tillon, Jacques Berque, etc. Le mouvement national a eu ses grands militants et ses sympathisants parmi les Européens et nous citerons l’exemple de l’anticolonialiste Victor Spielmann, fidèle compagnon de l’Emir Khaled et de Ferhat Abbas et à qui Cheikh Abdelhamid Ben Badis décerna le titre de « l’ange gardien (malâk hâriss) du peuple algérien ».
La guerre de libération a suscité un mouvement de solidarité active de tous les objecteurs de conscience parmi les militaires, les fonctionnaires, les médecins et les policiers. Il y a eu aussi la mobilisation des intellectuels français qui se sont érigé en porte-voix du peuple algérien dans son combat libérateur. De grands actes ont été accomplis pour dénoncer les affres du colonialisme et les atrocités de la guerre et surtout la torture. Au péril de leurs vies et au prix d’incessants procès, ces auteurs-militants ont veillé à éclairer l’opinion publique française et internationale sur la réalité douloureuse de cette guerre qui ne disait pas encore son nom.
Ce livre était attendu. Dans sa préface, Sadek Sellam estime judicieusement que « pour son courage et son humanisme, Ceccaldi-Raynaud mérite le titre de « Juste » de la guerre d’Algérie ». Le livre de Ceccaldi constitue assurément un acte fondateur en projetant une lumière sur cette catégorie jusque là inconnue des Justes de la guerre de libération nationale. Par sa parole libérée, cet acteur et ce témoin de la guerre de libération apporte de nouveaux éclairages sur la compréhension de la lutte contre l’ordre colonial.
Sa voie de Juste, Charles Ceccaldi-Raynaud la trouve dans les réponses qu’il tente d’apporter aux questions posées naguère par Emmanuel Kant pour mieux cerner cette « insociable sociabilité » de l’ordre colonial : « Que m’est-il permis d’espérer? Que puis-je connaître? Que dois-je faire? »
Ceccaldi se démarque de l’attitude de ses collègues aussi bien de la sureté générale que de la S.F.I.O. à l’égard de l’ordre colonial et de la politique de répression. De la lecture du livre se dégagent quatre idées essentielles qui constituent le fondement de base de sa pensée et de sa démarche :
1- La guerre d’Algérie ne s’est jamais interrompue de 1830 à 1962
2- L’impossibilité de rétablir l’ordre républicain par des moyens républicains
3- L’Algérie n’est pas la France
4- La paix passe par l’indépendance
Tels auraient pu être les termes de référence d’une politique de décolonisation des gouvernements français, aux fins d’assurer dans les meilleures conditions un désengagement de l’ordre colonial au profit d’un Etat algérien souverain et indépendant qui était le but ultime des Algériens dans leur processus révolutionnaire. Nous sommes loin des récits tyranniques sur l’apologie du colonialisme et de sa prétendue œuvre civilisatrice. Ceccaldi-Raynaud dévoile les grandes vérités qui étaient et qui sont restées partiellement interdites par les médias et les analyses.
Le grand effort de vérité est de rendre intelligible l’ordre colonial dans ses horreurs. Incontestablement, le fait générateur a été l’intégration de l’ordre colonial, qui est un désordre, au système politique, économique et militaire de la France. Ce qui s’est traduit par un prolongement territorial fictif, à travers ces trois fameux départements français, où toutes les valeurs et tous les principes de la république furent à jamais perdu. La population autochtone a été réduite à une infra humanité et le pays a été livré aux soldats et aux colons avec une implacable répartition des rôles : aux premiers incombe la répression aux méthodes génocidaires de la résistance du peuple algérien, aux seconds échoit l’accaparement des terres. Le tout orchestré selon les recommandations de Victor Hugo : « Algérie. La colonisation militaire doit couvrir et envelopper la colonisation civile comme la muraille couvre et enveloppe la cité. La colonisation militaire, c’est une muraille vivante. Quel meilleur obstacle continu qu’un camp français ? Mettez le soldat en avant du colon comme vous mettez un fer au bout d’une lance. » Incapable d’assurer l’égalité, la république française a laissé le système colonial s’imposer par la violence.
C’est contre cet ordre démoniaque que le peuple algérien n’a cessé de se soulever. C’est pour le maintien de cet ordre démoniaque que la France a mobilisé tous les moyens de renforcement. C’est ainsi que la république française est restée l’otage d’un puisant lobby colonial, qui pesait de tout son poids pour maintenir le statu quo, ni autonomie ni intégration, comme l’explique Ceccaldi-Raynaud.
Il aura fallu plus d’un siècle pour que le peuple algérien retrouve sa vitalité démographique et sa dynamique sociale pour déclencher le combat libérateur.
Après les massacres de mai 1945, le démantèlement de l’OS, la crise du MTLD et le trucage des élections, l’administration coloniale était convaincue d’être parvenu à faire régner l’ordre en Algérie. L’ensemble des services de renseignement œuvrent à un strict contrôle des Algériens et de leurs mouvements politiques, culturels, sociaux avec un usage généralisé de la torture : DST, police judiciaire, police administrative, renseignements généraux, gendarmerie, deuxième bureau (renseignement militaire), SLNA (parallèle au 2ème bureau), SDECE. Toute cette armada est restée sourde et aveugle devant l’ampleur des signes avant-coureurs et toute cette agitation à la veille du 1er novembre 1954. Qu’on en juge : entre octobre 1953 et octobre 1954, le bilan fait état de 53 attentats dirigés principalement contre les forces de l’ordre, les infrastructures de transport et les civils européens. Ces attentats sont souvent perçus comme des actes de banditisme car l’administration coloniale est convaincue d’avoir réussi à asservir le peuple algérien et à briser sa volonté de se redresser. « Mais que savait-on alors des aspirations des Algériens à la liberté ? » s’interroge Jean-Charles Jauffret. Or, c’est dans ce domaine invisible et inconnu que résidait l’essentiel de la vie politique du peuple algérien.
Le 1er novembre 1954 n’a pas surpris par l’ampleur des attentats, il a donné toute la mesure des ambitieux de la nouvelle élite en qui le peuple algérien fera totalement confiance. Désormais, le mouvement national dispose d’une doctrine et d’une stratégie de libération, il donne sens concret au désir du peuple algérien de s’ériger en nation, de construire un Etat moderne et performant, capable de mener le développement et de s’insérer sans heurt dans le système des relations internationales.
La France républicaine et coloniale répond par la guerre totale non pas seulement contre les combattants mais contre tout le peuple algérien qui s’est érigé en chaine de solidarité et de soutien logistique. Et c’est dans cette folie meurtrière de guerre totale que s’est achevé le règne de l’ordre colonial en Algérie. Un grand spécialiste de la guerre subversive, le colonel Roger Trinquier, explique aux journalistes américains la stratégie de la terreur : « Dites que je suis un fasciste, mais nous devons rendre la population docile, facile à conduire. Nous ne saurions gagner cette guerre à moins d’utiliser des méthodes dures. Il nous faut modifier notre attitude face à cette guerre. Nous devons organiser la population et la maintenir organisée. Les méthodes douces que nous avons appliquées à ce pays ne nous mèneront nulle part ». En stimulateur de conscience, Malek Bennabi alertait l’opinion internationale par son « SOS Algérie » : « Le langage est clair : il faut briser la volonté de résistance populaire en la détruisant physiologiquement dans la chair même du peuple par la torture. Il [Robert Lacoste, ministre résident à Alger] ne demande pas des soldats, il veut des charcutiers. »
Dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, Charles Ceccaldi-Raynaud va se heurter à cette stratégie de la terreur : torture, contre-guérilla, embrigadement des populations, guerre subversive, guerre non conventionnelle, infiltrations, justice expéditive, centres d’internement, massacres, etc. Son engagement était dangereux aussi bien pour sa carrière que pour sa vie : critique, dénonciation, aide et assistance. Il relève tous les paradoxes entre le droit et la loi, entre les lumières de la révolution française et l’enténèbrement de l’ordre colonial, entre la morale et l’hypocrisie des dirigeants politiques, entre l’honneur et la bestialité des forces de l’ordre. C’est à travers cette grille de lecture qu’il passe en revue les évènements de la guerre d’Algérie dans ses deux principales parties : 1954-1958 et 1958-1962. Tous ces évènements donnent la mesure de la désillusion des dirigeants français, toutes tendances confondues, au sujet de la chimérique Algérie française. Par acquis de conscience et pour son honneur, Charles Ceccaldi-Raynaud aborde des aspects que les Français ont du mal à imaginer aujourd’hui.
On relèvera d’abord le durcissement de l’état d’exception de l’ordre colonial. Les ségrégations établies ont été aggravées par les dispositifs des pouvoirs spéciaux et de la légalisation des camps d’internement. C’est comme si, par les reflux de l’histoire, la France s’intégrait dans l’Algérie coloniale, reniant ses principes et ses valeurs. Depuis Napoléon III, la France officielle doit beaucoup aux affairistes du grand colonat.
Les pouvoirs spéciaux permettent à l’appareil répressif d’agir en toute impunité en dehors de la légalité, sans se référer ni au parlement ni à la justice. « Le gouvernement disposera en Algérie des pouvoirs les plus étendus pour prendre toutes les mesures exceptionnelles commandées par les circonstances, en vue du rétablissement de l’ordre, de la protection des personnes et des biens et de la sauvegarde du territoire ». Tel est l’objet de la loi qui fut adopté à l’Assemblée nationale, le 12 mars 1956, par 455 voix, y compris celles des 146 députés du Parti Communiste Français, contre 76.
Dans cet aveuglement, les évènements se précipitent. Le dispositif s’avère inefficace et même contre-productif. L’ampleur des massacres renforce la révolution algérienne où l’indépendance devient le but suprême. En l’absence de débat démocratique sur la question algérienne, la IVè République s’écroule et par un coup d’état surgit la Vè République, fondée sur le seul souci de renforcer les pouvoirs de l’exécutif dans le but de conserver l’Algérie française. Ce déni de justice et de liberté sera maintenu jusqu’au bout. L’OAS et ses méthodes criminelles paracheva la désillusion. Pour la France, la guerre est perdue mais elle s’obstine à voir dans l’indépendance de l’Algérie l’aboutissement du processus révolutionnaire du mouvement national. Pour preuve, refusant de considérer le FLN comme le représentant unique et légitime du peuple algérien, le gouvernement français s’abstient de parapher les négociations d’Evian qui ne deviendront officiels que par le référendum du 8 avril 1962. Pour aggraver ce refus de reconnaissance de légitimité et de souveraineté, on est allé imaginer une singulière procédure de passation au profit d’uns structure ad-hoc, l’Exécutif provisoire, pour éviter le transfert de souveraineté au GPRA. C’était le cadeau empoisonné de Charles de Gaulle dont l’Algérie ne cesse de payer les conséquences désastreuses.
Charles Ceccaldi-Raynaud a été à l’avant-garde non seulement dans la dénonciation de la torture mais aussi dans la sanction des fonctionnaires de police. Déjà en 1951, Claude Bourdet, ancien membre du Conseil National de la Résistance, publie dans L’Observateur à la suite des conditions du démantèlement de l’OS, un article intitulé « Y a-t-il une Gestapo algérienne ? ». Il y dénonce l’usage de la torture par la police et la complicité des magistrats. Par un autre article « Votre Gestapo d’Algérie », publié en 1955, il relance le débat. C’est dire à quel point la torture en Algérie a été généralisée et même institutionnalisée.
Dès le début de la guerre éclata l’affaire Kacem Zeddour, un cadre militant du mouvement national mort de torture dans les locaux de la DST d’Alger. Aussitôt, en accord avec Jean Vaujour, directeur de la sécurité générale de l’Algérie, un scénario fut monté pour camoufler le crime. Le cadavre de Zeddour, lesté de fonte et jeté à la mer, fut découvert à l’embouchure de l’Oued Hamiz à l’est d’Alger. La gendarmerie a immédiatement ouvert une information qui a été arrêté par la DST. On déclara qu’il s’agissait d’un marin nordique ayant péri en mer et qui fut enterré dans une fosse commune du cimetière chrétien de Fort de l’Eau. On annonce la fuite de Kacem Zeddour et le tribunal correctionnel d’Alger le condamne par contumace à une forte amende.
Il a fallu une année pour que la vérité éclate, grâce à l’engagement de Charles Ceccaldi-Raynaud, qui alerta la tutelle pour sanctionner les policiers tortionnaires (Longchamps et Loffredo) et assura à la famille Zeddour un soutien et une assistance dans les procédures judiciaires. L’affaire est montée au plus haut niveau de l’édifice institutionnel, au cabinet du Président de la république René Coty, aux Présidents du Conseil des ministres, Pierre Mendès-France, Edgar Faure et Guy Mollet, aux directeurs de la sureté en France et en Algérie Jean Mairey et Jean Vaujour ainsi qu’après de l’ensemble des députés.
L’affaire se termina par un non-lieu, car de bout en bout planait l’ombre du ministre de l’intérieur Mitterrand par qui l’affaire partit puisque la DST d’Alger était sous son autorité directe. De même qu’il se retrouva ministre de la justice dans le gouvernement de Guy Mollet quand l’affaire fut enrôlé et qu’il pesa de tout son poids pour la faire aboutir à un non-lieu.
Kacem Zedour était de la nouvelle génération du mouvement national, intégrant et dépassant les précédentes générations de l’idéal révolutionnaire et de l’action révolutionnaire. Nous sommes à l’ère de la stratégie révolutionnaire, avec des militants déterminés, qui préparent, avec efficacité et dans le secret absolu, la lutte finale pour le recouvrement de l’identité et la reconquête de la souveraineté. Il a joué un rôle pivot dans la coordination entre les trois centres de décision : l’Algérie, l’Egypte et la France.
Ait-Ahmed évoque son souvenir dans ses « Mémoires d’un combattant » : « L’aéroport du Caire baigne dans les rougeoiements du soleil couchant. (…) Je suis accueilli par trois camarades : Chadli Mekki, délégué du PPA au Caire depuis 1945 ; Mohamed Khider, l’ancien député d’Alger ; Kacem Zidoun, un étudiant originaire d’Oran, qui prépare une licence de lettres à la faculté, justement renommée, de Dar el-Ouloum. De tous les personnages que les évènements vont faire entrer en scène au Caire, Zidoun est celui qui disparaîtra le premier, dans des circonstances tragiques, au lendemain du 1er novembre 1954, jour du déclenchement de la guerre de libération.
Possédant une double culture, française et arabe, et une excellente formation acquis en Algérie au sein du PPA-MTLD, il nous fera bénéficier de sa bonne connaissance des milieux politiques égyptiens. »
Toujours la torture, à grande échelle dans ce qui s’apparente aux camps d’extermination des nazis. Interdits en France, les camps d’internement ont toujours constitué un dispositif courant en Algérie. Il s’agit d’un emprisonnement administratif et arbitraire, sans aucune procédure judiciaire, souvent dans des conditions atroces. Durant la guerre d’Algérie, les camps explosent, y sont entassés des suspects ou de simples prévenus, en attendant d’être fichés, interrogés, torturés et même tués.
Charles Ceccaldi-Raynaud est nommé par Paul Teitgen, le secrétaire général de la préfecture d’Alger, administrateur au centre de Beni Messous. Il n’y reste que quinze jours à cause de l’insoutenable ambiance. Prévu pour accueillir 350 personnes, les militaires n’hésitent pas à y emmener 1.000 personnes. C’est alors que Ceccaldi-Raynaud prit la décision de n’en retenir qu’au prorata des capacités d’accueil, le reste fut libéré, provoquant la rage des militaires. De même qu’il ne manqua pas d’instaurer une procédure de traçabilité des déplacements des pauvres malheureux, surtout quand ils sont acheminés vers les centres de torture. Un des habitués du centre de Beni Messous est le sinistre commandant Aussaresses.
C’était Pierre Rossi qui nous édifiait sur les horreurs de la torture : « Tout homme porte en lui la forme entière de l’humaine condition. La fraternité n’est pas seulement un commandement d’ordre moral. Elle est aussi et surtout une communion substantielle. C’est pourquoi si la victime de la torture est déchirée dans sa chair et dans son âme, son bourreau, quant à lui, s’exclut de l’espèce humaine. »
Un hommage est rendu à Williams Lévy, un juif d’Alger. Militant socialiste, il lutte pour une Algérie fraternelle. L’un de ses fils est tué par erreur par un combattant FLN. Il sera assassiné par les tueurs de l’OAS. La famille Lévy restera l’exemple des drames humains de la guerre d’Algérie. Charles Ceccaldi-Raynaud nous donne ici l’occasion d’aborder un sujet méconnu, celui des juifs d’Algérie dans le mouvement national. Pour la colonisation, il s’agit d’un succès en matière d’intégration et de francisation des indigènes du Maghreb. Cette émancipation a été menée dans le strict intérêt de la colonisation. Ce qui explique l’adhésion d’une infime minorité des juifs d’Algérie dans le mouvement national et dans la guerre de libération, on en a dénombré à peine un millier. Mais rien n’autorise que leur combat soit occulté dans l’histoire du mouvement national.
En janvier 1956, Charles Ceccaldi-Raynaud rencontre Albert Camus à l’occasion d’un voyage de l’écrivain à Alger après une longue absence. Après avoir quitté l’Algérie en 1942, il fit un voyage éclair du 18 avril au 7 mai 1945. C’est à Paris qu’il prit connaissance des évènements tragiques du 8 mai dans le Constantinois. Il laisse l’image d’un homme tourmenté, aux idées déconnectées de la réalité mais viscéralement rattaché à l’Algérie française. Un parallèle est fait avec Jean Amrouche, dont la vision cadre mieux avec les réalités et les perspectives.
Dans une lettre adressée à Jules Roy le 6 août 1955, Jean Amrouche écrivait : « J’ai lu deux articles sur l’Algérie qu’il [Camus] a donnés à L’Express. Il y a de justes remarques. Mais quant aux solutions qu’il préconise, je n’y crois pas. Le mal est beaucoup plus profond à mon avis. Il n’y a pas d’accord possible entre autochtones et Français d’Algérie. Il serait très long de l’exposer ici, un volume y suffirait à peine. En un mot, je ne crois plus à l’Algérie française. Les hommes de mon espèce sont des monstres, des erreurs de l’histoire. Il y aura un peuple algérien parlant arabe, alimentant sa pensée, ses songes, aux sources de l’Islam, ou il n’y aura rien. Ceux qui pensent autrement retardent d’une centaine d’années. Le peuple algérien se trompe sans doute, mais ce qu’il veut obscurément, c’est constituer une vraie nation, qui puisse être pour chacun de ses fils une patrie naturelle et non pas une patrie d’adoption. »
Déjà au lendemain des massacres du 8 mai 1945, Jean Amrouche diverge fondamentalement avec Albert Camus. Dans un long article au titre hautement significatif : « Les Algériens veulent-ils ou ne veulent-ils pas rester français ? » rédigé après un long périple de six semaines, de Tunis à Alger en passant par Sétif, Constantine, Tizi-Ouzou, Ighil-Ali. Il dénonce sévèrement le système colonial. Albert Camus, qui était rédacteur en chef du journal Combat refusa la publication de l’article de Jean Amrouche parce que ses écrits sur ce thème étaient en faveur de la colonisation.
Plus qu’un genre littéraire, le livre de Charles Ceccaldi-Raynaud peut être considéré comme un courant fondateur d’une réécriture de l’histoire de la colonisation susceptible d’être aisément partagée par les Algériens et les Français. Un courant fondateur de l’écriture d’une histoire commune qui sera le prélude à une véritable réconciliation algéro-française.
Merci à Charles Ceccaldi-Raynaud, qui a, en toute conscience, agi en Juste, apporté son aide à des familles en détresse, a sauvé des Algériens des camps de la mort, a su, pu et voulu élever la voix pour dénoncer les crimes de la colonisation. Les Algériens retrouvent en lui un ami et un frère.
Il serait hautement souhaitable que les autorités algériennes pensent à instituer une médaille de reconnaissance de ces actes de bravoure.
Brahim Zeddour
24 Commentaires
faouzi
La gauche veut accabler la droite en célébrant ostensiblement le 17 octobre 1961, dont un pouvoir de droite s’était rendu coupable. Ceccaldi et Sellam viennent rappeler les responsabilités écrasantes de la gauche coloniale et spécialement de F. Mitterrand. Qu’ils soient remercier
xavier
Oui, les néo-socialistes ont diabolisé Guy Mollet pour mieux occulter les fautes gravissimes commisses par Mitterrand en Algérie, à des fins de carrière
abel
Faire enchaîner les pieds des condamnés à mort algériens: c’est une honte pour le faux humaniste Mitterrand
Max Bio
Oh la France des droits de l’homme,qui donne des leçons….et elle a oublier ou elle refuse de regarder son passée colonial atroces…plein de sang sur leurs mains. Vive, la liberté . Merci aux héros du novembre 54.
Nanker
“Oh la France des droits de l’homme, qui donne des leçons… et elle a oublié ou elle refuse de regarder son passé colonial atroce… plein de sang sur leurs (sic) mains. Vive, la liberté. Merci aux héros de novembre 54” Mouais on peut aussi objecter que les héros de 1954 sont, en 1962, devenus les bourreaux du peuple algérien, en le maintenant dans une état de sujétion abjecte digne de la colonisation. Et là, les Français n’y sont pour rien… A quand la seconde décolonisation de l’Algérie et la libération de son peuple? La bien-pensance tiers-mondiste ne doti empêcher de regarder les choses en face. l’Algérie est un pays immensément riche dont les habitants sont puavres : cherchez l’erreur et elle n’est forcément à chercher du côté français. M. Beau, Charles Ceccaldi-Raynaud étant (à 90 ans!) toujours de ce monde, ne serait-il pas malin d’aller l’interviewer pour MA sur les années 1951-53? Moi j’dis ça j’dis rien…
bertrand
Ceccaldi-Raynaud aurait dû mériter au moins un chapitre dans le livre de Raphaëlle Branche sur la torture en Algérie. Or, son nom n’est même pas cité! Cela en dit long sur le poids de l’idéologie dans les études historiques sur la guerre d’Algérie.
sylvain
R. Branche avait comme protecteur P. Vidal-Naquet. En omettant de citer Ceccaldi-Raynaud, elle voulait sans doute éviter de heurter l’historien-moraliste de le heurter par la mention d’un ex-socialiste passé au gaullisme (qui n’était pas la tasse de thé de Vidal-Naquet) pour ne pas changer sur l’Algérie
abdel
Et Stora? Qu’est-ce qui l’a empêché de citer Ceccaldi dans ses loivres?
Jacques
Branche et Stora obéissent, dans leurs recherches, à des impératifs peu scientifiques liés à l’idéologie, à la politique, à la politique politicienne et, surtout, aux plans de carrière…
xavier
Et pourquoi ces considérations extra-scientifiques pèsent-elles de tout leur poids uniquement chez les historiens de la guerre d’Algérie?
amel
Stora faisait partie des historiens politisés qui appelaient à célébrer ostensiblement le 17. 10. 1961 pour rappeler les responsabilités de Frey et Debré et faire oublier celles de Mitterrand. Il n’allait pas citer Ceccaldi dont le nom renvoie à l’affaire Zeddour qui avait été étouffée par le Garde des Sceaux de Guy Mollet.
hadj attou
en 1962 STORA et SELLAM venaient tout juste de terminer le deuxième trimestre de la classe de sixième;ils n’ont donc fait que rapporter ce qui leur a été dicté.
Stella
Non seulement C Ceccaldi a été omis dans les livres de la période citée, mais en sus…Certains l’ont diffamé en prétendant que son départ d’Algérie aurait été imputable à des menaces du FLN algérien, alors qu’il y a bien eu un ordre d’arrestation du Colonel Godard le ciblant…Pour l’enfermer à Alger Sahel. C’est donc justice que M. Sellam rétablisse la vérité sur ce point, et que M. Beau ait l’audace intellectuelle d’éditer ce support de libre expression.
mohand
Dans le numéro 3 de “Guerre d’Algérie Magazine”, de mai-juin 2002, Raphaëlle Branche écrit à la page 14: “On a la trace dans les archives de Guy Mollet de lettres envoyées par des membres de la SFIO d’Alger prévenant le “camarade” président du Conseil des méthodes employées par les hommes du général Massu…” Ces lettres et rapports furent envoyés par Charles Ceccaldi-Raynaud, et étaient signées par lui comme le montrent Mes Vergès et Zavrian qui les ont reproduits honnêtement, en citant leur auteur, dans “les Disparus”, publié en 1959. Qu’est-ce qui a empêché R. Branche d’être aussi honnête?
alexis
Stora a veillé à préserver la mémoire de Mitterrand, peut-être plus que les néo-socialistes comme Joxe et Chevènement. Il ne s’est vraiment libéré qu’à la publication avec un journaliste du livre sur les condamnés à mort algériens exécutés après le refus de leur grâce par le garde des Sceaux de Guy Mollet. Libération mesurée puisqu’il divise par 3 le nombre de ces suppliciés, souvent innocents que Mitterrand aurait pu maintenir en vie s’il avait vraiment “humaniste”, à défaut d’être socialiste.
amar
Stora a fait partie des Trotskystes qui trahirent Lambert pour rallier le PS après 1981; son engagement politique a rejailli sur les sélections des faits et leur interprétation en fonction de sa révérence et de sa reconnaissance pour le président Mitterrand qu’il savait gêné par sa belliqueuse politique algérienne. Hadj Attou a tort de le mettre dans le même sac que Sellam…
bastien
Il n’y aucune comparaison entre sellam et Stora, un historien-idéologue, qui fait surtout de la communication en attendant des postes administratifs. Hadj Attou devrait le savoir.
albert
Le PS devrait donner l’exemple en demandant pardon au peuple algérien pour les crimes couverts par Mitterrand
akli
Ce n’est pas Cambadélis qui fera cette repentance au nom de ses camarades socialistes; car il fit partie, avec Stora, des Lambertistes qui préparaient la trahison de Lambert en négociant secrètement leur ralliement au sous-courant Jospin avec le “Vieux” (alias Mitterrand).
tassadit
Il ne faut pas utiliser le mot “repentance” qui vient du langage clérical. Le laïcisme à fleur de peau des camarades socialistes devraient être ménagé. Des excuses présentées au peuple algérien suffiraient
khaled
Stora et Cambadélis furent en effet les artisans de la trahison de Lambert au profit du sous-courant Jospin (1 ex-lambertiste aussi). Mais ce n’est plus la bonne entente entre les deux ex-camarades, puisque Camba a boudé l’inauguration par Hollande du “musée de l’immigration” avec 7 ans (presque la durée de la guerre d’Algérie)de retard
claire
L’intérêt pour l’Algérie de Stora et de cambadélis pour l’Algérie dépend beaucoup du prix du baril de pétrole. Comme d’autres camarades socialistes ne s’intéressent à ce pays qu’en pensant aux contrats (qui ne vont pas sans commissions, ni rétrocommissions) pour l’exploitation du gaz de schiste dans cette ex-colonie, alors que les Verts interdisent cette exploitation dans l’héxagone. C’est Stora qui a déclaré un jour que pour lui, “l’Algérie, c’est un marché!”(sic)
jeanne
Il faut revenir à ceccaldi-Raynaud et à “l’oubli” de citer son nom par Branche et Stora; La partialité de Stora (qui a écrit sur la “dernière génération d’octobre” pour mieux rompre avec ses idéaux de jeunesse)doit avoir des raisons idéologiques et affairistes comme celles citées; mais Branche évite de citer des noms par crainte de voir révéler celui du colonel Branche qui sévissait entre Vialar et Tiaret? Son intérêt pour l’Algérie aurait-il pour origine la parenté avec ce tortionnaire?
Anonyme
On parle à chaque fois de torture en Algérie mais aucun historien ou journalistes d’investigation n’ont citer la VILLA MAHIEDDINE qui est un lieu de torture ou l’ont ramener chaque soir des pauvres indigènes dans des camions bachés qu’on torturé dans la nuit,j’habitais à deux pas du SAS (VILLA MAHIEDDINE) vers 1 heures deux heures du matin on entendaient les cris vers quatre heurs cinq heures du matin plus de cri. Mon frère ainée à été arreté et libéré ils nous a raconter les atrocités que subissaient les pauvres innocents parmi les tortionnaires il y avait Rachid TEMASSITI et d’autres harki très connus dans le quartier ils ont tous quitter l’Algérie en 1962 quand à Rachid TEMASSITI et ABDELKADER ils sont restés en Algérie en quittant le quartier. Dans ce meme lieu de torture très célèbre et dont personne ne parle, une fois que les militaires Français ont quitter les lieux, on a pu pénétrer à l’intérieur de cette caserne (Villa MAHIEIDDINE) les murs étaient tous tachés de sang et quelques mois après nous enfants de 9, 10 et 12 à cette époque on jouaient derrière le mur de ce lieu de torture certains gamins en grattant dans la terre ils ont découvert le corps d’un homme enterré avec ces vetement un pull en laine marron moucheté de noir, tous ces vetements intacts ces cheveux noirs ils ont trouvé sur lui une boite à chiquer BENCHICOU et le paquet de papiers fin pour envelopper le tabac neuve aucune rouille sur la boite (c’est la police qui l’a déterrer). Donc dans cette Villa les pauvres malheureux qui arrivent en pleine nuit ne resortiront jamais, à mon avis l’état Algériens est complice surtout qu’ils ont laisser ce lieu historique à l’abandon total au lieu de faire des fouilles et réhabiliter cette VILLA aux milles secrets ne serait que l’histoire. S’il font des fouilles je suis convaincu qu’ils vont trouver pas mal de corps car c’est un lieu réputé par la torture.